Critique du livre de Fabrice de Raissac et Roger-Vasselin

"Mac Enroe est-il génial ?"

 


En fait, dans le livre de Fabrice de Raissac et Roger-Vasselin, il y a deux parties qui se mélangent plus ou moins :

a) des considérations sur le fait que c'est la technique qui est importante et qui fait la différence dans le tennis

b) les éléments techniques qu'applique Mac Enroe qui le rendent supérieur aux autres.

 


A) C'est la technique qui est importante

 

Cette partie était intéressante parce que nouvelle à l'époque, ou, du moins, à contre-courant du discours assez délirant d'alors qui faisait reposer toute la valeur d'un joueur sur son mental, ainsi que, mais là, c'était plus dans le non-dit, sur un entraînement dit Hopman (consistant à frapper un grand nombre de balles) ou l'analyse technique était complètement mise de coté. Le principe était qu'il fallait frapper, courir, frapper, courir et frapper encore, et qu'après un million de frappes, le joueur finirait bien par progresser naturellement. Les deux auteurs remettaient les idées en place et disaient que l'élément technique est prépondérant en rappelant, par exemple, qu'il n'y a pas de joueur fort avec une technique faible et seulement grâce à son physique, alors que l'inverse est beaucoup plus vrai.

C'était aussi une excellente critique du monde du tennis d'alors. Critique des dirigeants, qui avaient en charge, tout de même, de définir l'enseignement et qui étaient partis sur des voies extravagantes ; et critique des enseignants qui étaient trop contents de n'avoir qu'à envoyer des balles aux élèves.

Ils remettaient également à leur place quelques idées bidons d'alors comme la soi-disant nécessité de la boucle pour obtenir de la puissance (alors que Mac Enroe, Gomez et d'autres ne la faisait pas et étaient classés dans le top ten). Enfin, ils sortaient quelques idées intéressantes, comme le fait qu'un mouvement compliqué augmentait le risque d'erreur.

 


B) La partie technique

 

La première partie était très intéressante, mais, j'étais déjà convaincu de ce qui s'y disait. Ca ne faisait que confirmer ce que je pensais, avec seulement quelques révélation (comme les évolutions théoriques des dirigeants du tennis). Et ça me donnait surtout le plaisir de voir que des gens pensaient comme moi.

C'est donc la partie B qui m'intéressait le plus à l'époque, puisque mon but était d'améliorer mon tennis. Or, celle-ci ne m'a finalement pas été d'un grand secours théorique. Pire ; parce que j'avais une certaine confiance dans l'intelligence des auteurs, elle m'a parfois induit en erreur pour pas mal de temps, de façon plus ou moins insidieuse. Elle contenait quelques idées intéressantes et justes parfois, mais, au final, c'était décevant. D'autant plus que l'intelligence brillante des auteurs me faisait espérer quelque chose de bien pour la partie "explication de la technique".

Il n'y avait en fait pas grand chose dans la partie technique. Un bon tiers était occupé par le problème du placement et donnait des conseils que je connaissais déjà, pour l'essentiel. Il y avait pas mal de photos ou de dessins, ce qui limitait d'autant la partie texte. Et, sur la partie "technique de bras", qui ne faisait que 30 pages, ils ne faisaient que reprendre, pour l'essentiel, ce qu'ils avaient dit dans la partie "analyse et compréhension du jeu de Mac Enroe" en l'appliquant aux différents coups. Rien de bien transcendant.

Parmi les idées trouvées dans l'analyse du jeu de Mac Enroe, il y a quand même quelques unes qui me semblent erronées. Certaines explications semblent justes, mais elles ne tiennent pas compte de tous les éléments. Par exemple, l'idée que le jeu de Mac Enroe est basée sur l'économie de l'énergie physique semble intéressante à priori. Mais, moi je crois que ce n'est pas un type de jeu spécifique à Mac Enroe et donc, que leur explication n'est pas très pertinente. De plus, je me suis aperçu, à la réflexion, que vouloir l'appliquer à tout le monde, à tous les types de jeu est impossible.

1) Jeu économique

Ce que je pense, c'est qu'effectivement, le jeu de Mac Enroe est économique, mais que ce n'est pas du à une volonté forcément tourné vers l'économie de la part de Mac Enroe. Je pense qu'en général, les jeux d'attaquants sont économiques. Et ce, parce qu'ils utilisent une prise continental (marteau) qui permet d'accélérer fortement en utilisant peu d'énergie physique quand la balle est basse :

a) parce que le bras ne doit pas fournir d'effort pour remonter, au contraire, il a encore l'énergie de la descente

b) parce que la pronation du bras vient encore ajouter de la puissance au coup

c) parce que c'est un coup plat à la base, donc, plus rapide qu'un coup lifté pour la même énergie dépensé

d) parce que la balle est frappée basse, donc, prise tôt en général après le rebond, alors que la balle a encore beaucoup d'énergie

e) parce que la prise tôt de la balle étant faite plus dans le terrain que pour un lift, et donc, que la distance à parcourir pour arriver dans le terrain adverse et plus courte et donc met moins de temps à arriver, donc, on peut mettre un peu moins d'énergie pour le même résultat

f) parce que la volée est économique en terme d'effort et, par définition, ils sont souvent à la volée

g) parce que le jeu de volée se conclue en moins d'échanges que le jeu de fond de court.

La limite de ce genre de jeu est dans le type de terrain utilisé. Sur herbe, ou la balle rebondit basse et qui ralentit peu la balle après le rebond, ce genre de jeu fait merveille, mais sur terre battue, ou la balle rebondit plus haut, et plus lentement, l'avantage est bien moins grand, la vitesse est diminuée par le rebond, ce qui fait que moins de coup sont gagnants ou gênants, et le joueur peut être gênée par un adversaire qui lift et donc, qui fait des balles hautes qui sont gênantes avec son type de prise. Les surfaces synthétiques équilibre le jeu des deux types de joueurs. D'ailleurs, sur terre battue, quand le match dur, les volleyeurs peuvent être aussi fatigués que les frappeurs, et sur herbe, comme les frappeurs ne frappent que des balles rasantes, et que les échanges sont courts à cause de la vitesse du gazon, on ne les voit jamais fatigués.

Et puis, quand un frappeur rencontre un volleyeur, le frappeur est rarement épuisé. Et ceci, parce que le frappeur frappe autant de balles que le volleyeur, et à une auteur qui est assez basse (donc, moins fatiguante), puisque le volleyeur fait des frappes plates.

Ils disent bien qu'il y a deux types de joueurs : les frappeurs et les volleyeurs. Mais ils se trompent quant aux causes du principe d'économie, et ils se trompent encore quand ils sous-entendent qu'il faudrait l'appliquer aussi au cogneurs. Alors que la prise, au départ, n'est pas du tout la même, et requiert un engagement physique plus grand. Engagement physique augmenté par le fait que le point n'est pas fini aussi rapidement qu'avec un volleyeur (quand deux frappeurs se rencontrent).

Et puis, qui de Mac Enroe ou de Lendl était le plus fatigué à la fin de la finale en cinq sets de Roland Garros en 1984 ?.... Mac Enroe.... malgré sa technique économique. Ca remet quand même fortement à sa place l'idée que cette technique est si économique que ça. Selon la théorie de Vasselin et Rayssac, ça aurait du être Mac Enroe qui aurait du être le plus frais.

Le problème, c'est que comme cette explication est à la base de leur théorie, les principes qui s'en suivent sont basés sur un principe de départ faux. Tout l'ensemble en est affecté.

Déjà, ces principes ne sont pas applicables aux frappeurs. Et quand on parle des volleyeurs, ses principes sont déjà en grande partie appliqués par eux parce qu'ils découlent naturellement de la technique induite par la prise continentale.

Cela dit, il y a d'autres principes indépendants de ce problème évoqués dans le livre : l'idée d'avoir les muscles détendus pour pouvoir accélérer, l'idée du mouvement de piston, l'idée que la boucle n'est pas nécessaire.


2) Avoir les muscles détendus pour pouvoir accélérer

Ils laissent à entendre qu'il faut avoir le bras détendu pour accélérer, que si on a les muscles tendus, ça revient à être crispé. Donc, on a moins de vitesse quand on tend les muscles du bras. Celui-ci n'avance plus.

Je sais bien que c'est faux maintenant. Si on ne tend pas les muscles du bras, on n'obtient aucune puissance et donc, aucune vitesse. Ils prennent Noah comme exemple d'un joueur jouant avec les muscles trop tendus, trop noués. Mais, Noah avait par ailleurs un très grand service qu'il n'aurait pas du avoir s'il avait joué noué comme ils le disent. Donc, je ne pense pas que sur son coup droit, le problème vienne d'une quelconque crispation, mais plutôt d'un lift beaucoup trop haut et d'une méconnaissance de la technique pour frapper à plat. Par la suite, j'ai essayé de mettre en œuvre ce principe du bras détendu, et ça a aboutit à au moins 6 mois de tennis lamentables. La mise en place de ce principe avait été favorisée par le fait que le prof de tennis m'avait convaincu que ce n'était pas la peine de frapper et qu'à mon niveau, il fallait être précis. Donc, me disant qu'il n'y avait pas besoin de frapper fort, c'était le moment rêvé pour mettre en place cette théorie. En réalité, en appliquant ce principe, on aboutit à rien parce que les muscles sont mous.

Cela dit, en considérant la chose d'une certaine façon, ils avaient raison. Il est certain que si du début à la fin du mouvement, on garde le bras très crispé, on ne va pas pouvoir accélérer. Mais, c'est considérer un cas très particulier et qui n'était certainement pas celui de Noah. Le problème était qu'ils ne donnaient aucun avertissement pour prévenir contre telle ou telle interprétation erronée de cette idée, alors que vue la façon dont il la présentait cela menait clairement à l'idée qu'il fallait avoir le bras le plus détendu possible (et donc le plus mou possible) pour pouvoir accélérer.

En fait, ils se servaient d'un dévoiement complètement excessif de la bonne technique (qui consiste à tendre les muscles pour frapper fort), dévoiement assez fantasmé concernant les joueurs analysés; pour valider leur théorie et pour préconiser ainsi une mauvaise technique (avoir les muscles les plus détendus possible pour pouvoir frapper fort).

Au final, même s'il peut y avoir un peu de vrai dans cette idée, la façon dont ils la présentaient conduisait forcément à des confusions dans la tête d'un joueur moyen.


3) Le mouvement de piston, l'idée d'avoir le mouvement du bras le plus rectiligne possible

Ils parlent aussi du mouvement de piston. Et ça aussi ça induit en erreur puisque le mouvement de bras n'est pas un mouvement uniquement de piston. J'avais essayé de mettre leur théorie du piston en œuvre et j'avais obtenu de bons résultats, mais, je tendais les muscles du bras fortement.


4) Techniques simples, techniques compliquées

D'une façon générale, je trouve qu'ils sont trop systématiques. Il y a des joueurs qui ont des techniques compliquées et qui étaient bons. Et beaucoup de leurs exemples sont mal choisis. Par exemple, Lendl avait une très grand boucle et un préparation avec le tamis vers le sol, et ils le prennent en exemple pour son coup droit (même s'il avouent qu'il faisait une grande boucle puisqu'ils disent qu'il la raccourcissait pour le retour de service). Gomez aussi avait une préparation tamis vers le sol. Alors, bien sur, ils disent bien qu'il est préférable de ne pas faire de boucle et de ne pas préparer tamis vers le sol. Ils ne disent pas de façon abrupte que la boucle ou l'orientation du tamis rendent difficile l'accession au plus haut niveau, mais ils le laissent quand même entendre en citant plusieurs fois Noah ou Tulasne.

D'ailleurs, la technique compliquée, chez eux, ça se résume à peu de chose, essentiellement ceux qui faisaient des boucles, qui préparaient la face du tamis parallèle au sol, et qui changeaient de prise. Sur ce dernier point, il s'agit, comme pour le jeux économique, d'un élément propre au volleyeur, la prise marteau favorisant la prise de balle basse et l'attaque en coup plat. Sur les deux autres, si effectivement la boucle peut être supprimée sans problème, la préparation avec la face du tamis parallèle au sol me semble avoir une utilité pour le lift.

5) Techniques naturelles et techniques anti naturelles

Ce concept est intéressant et utile par contre. Il m'a servi dans mes réflexions sur la technique. Il n'est pas intervenu directement dans mes découvertes techniques, mais il permet de structurer la réflexion.


Conclusion

Au final, je ressort avec une impression mitigée sur ce livre. Je l'ai aimé pour sa remise en cause des théories fumeuses de l'époque (genre tout est dans le mental), pour les nouvelles problématiques et les nouveaux sujets techniques abordés. Mais pour ce qui est de l'apport technique pour le lecteur, il n'apporte en fait pas grand chose. Soit il induit en erreur ; il fait partir sur des théories fausses (le fait de ne pas tendre les muscles pour accélérer). Soit ses théories sont justes mais peu utilisables parce qu'elles ne sont pas mises en perspectives dans un ensemble plus global (exemple : le jeu à l'économie).

Mais bon, même si la partie technique était décevante derrière une façade brillante, je garderais quand même un bon souvenir de ce livre pour le coup de pied qu'il donnait dans la fourmilière de la Fédération Française de Tennis de l'époque, sur la paresse intellectuelle généralisée qu'entraînait la méthode Hopman et dans tout le consensus général sur le peu d'importance de la technique. Ca, c'était quand même grand. Il fallait oser et ils l'ont fait. Bravo.